Grand frère, Roman de Dieudonné naire, extraits
Sortie juin-juillet selon éditeur
Du même auteur
Quêtes de poésie engagée, Poésie
Mon Petit Éditeur, 14, rue des Volontaires
75015 Paris, Octobre 2010
Le retardataire, Roman
Mon petit éditeur, 14, Rue des Volontaires
75015 Paris, Avril 2011.
Être de mots et de vers, Poésie
Paris, Mon petit éditeur, Février 2012
Nouvelle édition en cours
Aujourd’hui, le Tchad,
Guide de voyages et de découvertes du Tchad
4e édition, EDITION NAIRE, 2012
Guide de découvertes
Les Villes d’Afrique noire
Tour des villes africaines
ÉDITIONS NAIRE, en cours
Cette œuvre, inspirée par quelques faits réels, demeure dans sa construction un récit de pure fiction.
Aussi, toute ressemblance à des faits et situations réels, passés ou actuels et, d’où qu’ils soient, ne seraient que fortuite.
Sommaire
Prologue:
Tentations Bruxelloises
Première partie :
Aux sources du rêve de Paris
- 1. Brazzaville, Mavoula
- 2. Aux sources de la vie paysanne : de Kiloubi à Brazzaville
- 3. Le parisianisme et ses tentations Ou de Brazzaville à Mputu[1] sans Aller Retour
Deuxième partie :
L’envers du décor
- 4. Les épreuves parisiennes
- 5. Surprises: une cure de jouvence inattendue
- 6. Remords d’aîné
Épilogue:
Destin d'un homme à la rue.
Postscriptum:
Les dessous de cette écriture.
Post script :
Dédicaces au Lecteur espéré
« Mesdames, Messieurs, dans quelques instants nous entrerons en gare de Bruxelles Midi. Bruxelles Midi, terminus du train. Il est 14 H 15, et il fait bon sur Bruxelles. Nous espérons que vous avez effectué un bon voyage en notre compagnie. Nous nous excusons du retard et vous souhaitons un agréable séjour en Belgique. Assurez-vous de n'avoir rien oublié à bord... »
Ce message répété dans les différentes langues officielles des pays de l'union Européenne et livré d'une agréable voix masculine, m'enflamma de bonheur et d'assurance.
J'y suis enfin aujourd'hui après près de dix ans. Bruxelles, ma Brussels. Je pris ma veste et descendis du train. Un dernier coup d’œil à mon linge pour m’assurer que je suis assez bien mit puis le tour est joué, à moi Bruxelles me lançais-je.
Le pas frêle de son mètre quatre-vingt-et-huit, mais assuré, je reposais alors en ce début d’après-midi du 11 novembre 1998, mes pieds engourdis sur le sol du quai et me dirigea vers la sortie avec Raku, mon fidèle « enfant » et compagnon de vie. Ah ce brave chien de race, un labrador généreusement cédé par une grande dame qui avait l'habitude de me remarquer assis au coin de sa rue, quêtant chaque jour quelques petites pièces de monnaies pour survivre avec mon compagnon. Sa générosité spontanée me gratifia plusieurs fois de gracieux gestes allant de l'argent à divers cadeaux. Même qu'une de ces nuits de grand froid, elle vint avec son fils m'inviter, sans obligation, chez eux. J'acceptais, avec empressement, son offre. Je pus ainsi me doucher, me changer, manger et disposer d'une confortable chambre pour la nuit sans compter ce long et agréable échange que j'eus avec eux. Ce ne fut que quelques mois plu-tard, comme promis cette nuit-là, qu'elle revint avec sous le bras un carton contenant un petit chiot. Un petit Labrador tout beige et déjà sevré, me dit-elle en me l'offrant. Je le pris dans mes bras sans que ce dernier n’oppose de résistance. Mignon et attachant, je le nommai, sous le conseil avisé de ma bienfaitrice, Raku. Je ne compris d'ailleurs jamais les explications rapportées à ce nom et l'obligation de choisir un nom devant, cette année-là, commencer par un R, drôle non ?
En m'offrant Raku, ma bienfaitrice me remit aussi le carnet de vaccination de ce dernier ainsi que des aliments et de l'argent pour nous assurer une sécurité alimentaire pendant quelques temps. Nous revenions toujours, Raku et moi, au coin de cette rue qui nous permis de nous rencontrer et nous adopter réciproquement, la célèbre rue Voltaire. Je ne sais si c'est à cause de son charme et de ses élans câlins qu'il savait manifester aux passants, notre vie à deux fut, pendant quelques années, un moment de bonheur. Les élans de générosité ne nous furent jamais refusés. J'appris avec Raku à flairer et distinguer ceux des passants qui pouvaient nous aider et ceux qui, de loin déjà, manifestaient leur indifférence coupable. Ah dire que sur le fronton de notre République est gravé aussi le mot « fraternité » !
J'avais hâte de revoir Bruxelles, la vallonnée, et parcourir les endroits que jamais je n'ai oublié depuis. Ses célèbres places, petites et grandes et, merveilles architecturales de ses constructions remontant à des époques lointaines mais qui continuent de capter le regard de tout débarquant dans cette ville. Ses cafés-bars où se produisent divers artistes en herbe le soir venu. Ses librairies et libraires d'abords agréables. La variété et instabilité de son temps qui nous fait dire que rien n'est acquis d'avance au lever d'un jour. Oh oui, ces brefs moments d'apparition de soleils se laissant éclipsés aussitôt par de doux crachins qui jamais ne vous trempent totalement, puis des éclaircis, puis, puis, c'est ainsi sous les cieux de ce Royaume toujours en mal de construction définitive et de stabilité ! Et que dire de l'humour et bonhomie de ses habitants forts remarqués. Et enfin pour moi, sa commune dénommée, non sans courtoises interrogations, Ixelles, qui abrite en son cœur Matongué, la « congolaise », avec ses allées commerçantes, ses professionnels et ses habitués, ses couleurs et ses senteurs qui étonnent et détonnent par leurs air et profil communautaire si différemment appréciés. Cette dernière avait, sans discrimination, capturé ma sensibilité et mon estime d'errant, autant que Molenbeek Saint-Jean et nombre d'autres quartiers résidentiels par leur côtés coquets et étonnamment tranquilles et agréables pour y passer un séjour de découverte du pays, telle Berchem Sainte-Agathe avec sa distinguée voisine, la Basilique Saint-Pierre. Autant de points de chute parmi tant d'autres que je ne puis que conseiller à tout visiteur.
Ah ville accueillante et propice aux ballades solitaires, on s'y plonge et replonge comme dans ces ailleurs tant convoités par les touristes d'ici pour le dépaysement qu'ils offrent sans contrepartie aucune.
Pourtant, comme certains des États de notre chère et vieille Europe, comptés aujourd'hui parmi les nations développées de la planète, Bruxelles et son Royaume avaient aussi maille à se remémorer non sans remords d'un certain passé colonial tant décrié même par ses propres enfants de maintenant. Après tout, au nom de quoi et du pourquoi condamner définitivement des générations entières qui jamais ne surent rien de ce qui se tramait si loin de leurs frontières et sans même d'ailleurs qu'on eut recueilli démocratiquement leurs avis ?! Peu d'époques glorieuses de peuples demeurés si célèbres dans nos mémoires ne se sont construites sans quelques barbaries commises par ceux-ci sur d'autres, n'est-ce pas ? Sans certitude naïve, je puis penser que cet avenir irrémédiablement commun ne saurait être envisagé sereinement qu'à la condition d'un mea-culpa intégral et planétaire. Rêve de rêve qui seul mêlé au bon sens et avec une bonne dose d'utopie révolutionnaire pourraient certainement nous sauver. Que perdrait en effet l'humanité réconciliée, avec toutes ses composantes fraternellement réunies, à engager sans les seules proclamations de principe, la construction attentive d'un tel avenir en vain espéré par tous ?! Pauvre de moi. Belles pensées échappées des méditations d'un des plus représentatifs de l'exclusion de nos pays. SDF, oui. Moi le sdf devenu depuis trois ans déjà au moins pour échapper aux risques d’arrestation et d’expulsion. Être reclus dans le silence forcé mais si éloquent des sans voix, sans égards attendris et qui se désigne sans majuscules, sans parole écoutée et sans prétentions entrain de philosopher dans les allées d'une gare bondée de monde. Il m'arrive ainsi de me surprendre quelquefois à moi-même dans mes errements librement choisis. Ah que n'ai-je pas été tenté par l'écriture-témoignage en vogue actuellement ?
Je parvins par petits pas, sous l'attention interloquée de Raku, à atteindre la sortie 19 de la gare de Bruxelles Midi. D'autres, semblables à moi étaient là avec leurs chiens. Je m'approchai et leur lança « Salut les gars ? ». Après quelques instants de silence, ils me répondirent comme d'une seule voix « ben oui » puis, l'un d'eux de me demander « d'où nous arrives-tu, ah tu n'es pas seul », alors, s'approchant de Raku, il le caressa tendrement, puis les autres chiens arrivèrent. Après les avoir salué, je posais à mes pieds mon sac à dos et sorti la bouteille de vin que j'avais jalousement réservé pour le premier que je rencontrerai en sortant de la gare. Un bon Bourgogne qu'un généreux Monsieur m'avait, contre toute attente, apporté de chez lui, de sa cave personnelle m'avait-il dit en me rappelant qu'il m'avait remarqué mon chien et moi depuis fort longtemps déjà et qu'il se disait qu'un jour il nous ferait la surprise. Voilà un bon Bourgogne de 1985 médaillée d'argent, reçu par un bel après-midi de printemps. Ils poussèrent des cris de joie et j'offris une tournée sitôt que la bouteille fut débouchée. Chacun y alla alors de son commentaire.
À côté, Raku s'égayait avec ses semblables. Eux n'avaient rien à se partager pour faire connaissance. Pourtant ils avaient l'air heureux de se rencontrer. Nous papotâmes et l'un d'eux me proposa spontanément de venir partager son refuge et qu'il m'offrirait un café au Babel cot, à la rue du Boulet, non loin de la Bourse. Ce cabaret, plus qu'un lieu de rencontres et d'échanges entre personnes en difficultés, on n'y est accueilli sans un regard inquisiteur. L'ambiance y est bienveillante et joyeuse. Je déclinais gentiment son offre et nous prîmes congé d'eux.
Au départ de ce voyage était cette irrésistible envie de revoir la ville où je vécus mes deux premières années en occident. C'est ici que je me suis initié à la découverte réelle de l'Occident tant rêvé et fantasmé dès Avril 1988 à mon arrivée dans ce pays après mon transit par Paris que je ne pus visiter parce que MM. Eric, l’époux de l’amie de ma sœur aînée, était trop pressé de peur de rater le train de Bruxelles. C'est ici que j'ai côtoyé physiquement cet autre que moi mais si différent : l’européen blanc. Oui, c'est ici que je reçus quelques-uns des clefs indispensables pour comprendre le fonctionnement de cette société blanche et de ses habitants, afin de pouvoir prétendre y vivre le plus longtemps possible avec ou sans les indispensables documents de séjour.
Beau jeune homme dans la force de l’âge, j’étais en débarquant en 1988 en plein printemps hésitant. Teint éclatant à coup de crème éclaircissante, j’étais, je m’en souviens encore, loin d’avoir l’air d’un débarqué perdu. Avec ma joyeuse mine, mon éclatant sourire et ma bienveillante corpulence sculptée comme un athlète professionnel, je ne pouvais que rassurer car j’avais intégré les règles de base du parfait parigo, du moins tel qu’on se le représentait au Congo, à Brazzaville : Mi rond, mi svelte, le physique du parisien savait combiner l’apparence du riche avec son gros bide et ses joues ruisselant « du bien manger et bien boire » et celui du mannequin sur qui tout linge est mis en valeur. Il le fallait m’avait-on dit au pays, car il ne faudrait surtout pas que ton allure générale attire quelques attentions de flics et contrôleurs de trains. Moi j’étais à jour de toutes ces ficelles en arrivant ici. Ah la sape et la quête maladive de Paris, c’était une vraie école de la vie avec ses défis et ses exigences d’harmonie des couleurs misent et ses échecs. Oui ses échecs qui jamais d’ailleurs ne les dissuadent.
Quelles furent-elles passionnantes et graves ces deux premières années de découvertes mais aussi de défit face au risque quotidien de se faire arrêter et expulsé, si l’on ne pouvait justifier d’une carte de séjour encore valable, ce sans pouvoir prolonger concrètement ce rêve porté des années durant. Il fallait tenir. Il fallait trouver quelqu'un qui pourrait m'aider à entreprendre les démarches nécessaires car je disposais depuis mon arrivée d'un délai d’un mois pour le faire. Mon Visa touristique n'était valable que pour cette durée-là. Je me souviens maintenant que même six mois plus tard, je n'avais toujours pas obtenu le fameux sésame: la carte de séjour ou celle de réfugié politique.
La famille qui m'accueillit généreusement à mon arrivée du Congo commençait à manifester quelques signes de ras-le-bol. Je devenais certainement trop visible, donc trop encombrant dans leur petit salon que j'occupais tout le temps, accroché à la télévision. Les moments de joie passés à se raconter les histoires du bled s'évanouirent lentement. Le disque de ces fraternels et joyeux échanges qu'on croyait sans fin, commençait à leur devenir monotone car ne suscitant plus la même curiosité, ni la même ferveur et envie d'y prêter encore attention. L'indifférence s'immisça insidieusement entre nous, puis, les moments de mauvaise humeur, comme cela peut arriver si souvent dans une société effrénée de consommation et ses obligations de factures si préoccupantes, se chargèrent de faire le reste.
Tout comme un jour par quelques remarques fort gênantes suivies, au début, d'excuses répétées. Puis un autre de ces jours, on en lâche sèchement quelques-unes à la suite et sans excuses ces fois-ci. Pour apaiser ces moments d'orage je devais me crever en divers travaux ménagers et de baby-sitter pour espérer arracher un peu de bonhomie dans la maison. Le ménage, pardi ! Je m'y collais tous les jours fait par Dieu. Sortir le linge et l'étendre; puis le repassage, la chambre des enfants, la garde de ceux-ci ainsi que leurs devoirs scolaires. Voici mes nouvelles occupations sans lesquelles le bénéfice même de ce toit pourrait m'être retiré sous diverses élégantes raisons. De plus, utilisant le canapé-lit du salon pour me coucher, je devais être le premier lever et remettre les choses dans l'ordre habituel et préparer le café pour le couple; mais nous le partageons ensemble. C'est le moment où l'on m'annonçait souvent ce que je devais faire aujourd'hui. Aucune assistance quant aux démarches à mener pour obtenir des papiers. L'on me calmait à coup de promesses jamais tenues. « Je m'en occupe, ne t'inquiètes pas», me lançait souvent Ya Alphonse, le mari de la dame chez qui j'étais recommandé par un de mes oncles paternels au pays, Ya Angélique, aussi attentionnée envers moi que ma sœur aînée du pays. Leurs enfants étaient trop jeunes pour me dire quoique ce soit d'utile pour débrouiller ma situation. De plus, le couple ne recevait presque jamais et ne sortait pratiquement pas.
Ce n'est finalement qu’un peu plus d'un an après que Ya Eric décida de me faire entreprendre une démarche auprès de l'O.M.I. pour obtenir une carte de réfugié. L'argument que je devais exposer reposait sur les évènements qui avaient alors perturbé la vie politique et sociale du Congo en mars 1977. L'assassinat du Président Marien Ngouabi, suivi de d'autres personnalités politiques illustres, et l'expulsion de plus de 5000 sans-papiers qui fut engagée par les nouvelles autorités politiques. Ma demande fut enregistrée et je bénéficiais d'une recipicé d'un mois, puis de trois mois, et de six mois avant de recevoir la décision définitive de l’O.M.I. de Belgique. Ce délais variable serait lié au temps nécessaire pour vérifier les données exposées par le demandeur me disait-on. Une allocation me fut gracieusement attribuée au bonheur de ma famille d'accueil à qui je versais les deux tiers des sommes reçues. Moi, réfugié politique ? Il fallait y croire. Il me fallait construire tout un discours critique sur le nouveau régime du Congo, ses pratiques tribales et les menaces que cela faisaient peser théoriquement sur ma sécurité, moi qui jamais n'avais fait de politique, ni participé à la moindre marche de soutien ou de contestation à quoi que ce soit. Mais il le fallait. Des amis de Ya Eric, le chef de mon ménage d’accueil, m’avaient d’entrée manifesté leur sympathie m'initièrent bénévolement aux arguments à développer avec des coupures de journaux à l'appui. Il me fallait avec tout ça, me bâtir un discours cohérent sur la base du plan qui m’a été instruit. De temps à autre Ya Alphonse se prêtait au répétiteur pour s’assurer de la cohérence du discours que je tiendrai devant l’agent de l’O.M.I. qui me recevra ce jour là.
Je ne fus finalement pas retenu comme réfugié politique après une deuxième prolongation de six mois encore de mon recipicé. Douze mois d’étude de mon dossier pendant lesquels j’étais financièrement assisté puis point final. Soit six mois en tout où je pouvais aller et venir dans les quartiers de cette ville sans être terrifier par la peur d’un contrôle inopiné de faciès par les patrouilles de police. Douze mois où je commençais à me familiariser avec cette ville en apparence fermée sur elle-même. Bruxelles, vint et s’ouvrit à moi chaque jour un peu plus à chacune de mes promenades improvisées.
Et donc ce que depuis je redoutais, l’enquêteur décida de boucler avec avis négatif mon dossier et m’adressa quelques jours après cet odieux Ordre de Quitter le Territoire du Royaume ainsi que celui de Schengen. Je disposais, pour cela, d'un délai d'un mois pour le faire. C'est alors que l'on me conseilla de quitter Bruxelles pour Paris où l'on me recommanda une relation à contacter dès mon arrivée. Je partis une semaine après en octobre 1990...Mais revenons à cette première matinée à Bruxelles.
Sorti de la gare, je remontais avec Raku, plongé dans toutes ces pensées, la rue de l'Angleterre pour atteindre l'Avenue Fonsny, curieusement peu dense de circulation à cette heure-ci. Le temps avait sa mine, indécise, et chargée de brouillard et menaçant d'orage comme à ses habitudes. Nous la traversâmes assurés d'avoir bien regardé de part et d'autre. Oui, j’étais pourtant persuadé en m’engageant sur cette belle Avenue qu’aucun véhicule n’arrivait. Mais voilà, contre toute attente, un automobiliste brusquement sorti d'on ne sait où, sans doute distrait, fonça délibérément sur nous. Je lâchai Raku en hâtant mes pas, mais...Tout s’accéléra sur le coup. Raku sauta hors de la portée de ce véhicule. Un klaxon strident ; un bruit de pneus ; puis un choc qui me projeta sans connaissance à quelques dizaines de mètres de là.
Puis, quelques temps plus tard, combien de temps exactement, cinq, six jours, je ne sais. Je me réveillais lentement et me découvris allongé dans un lit placé dans une salle fortement éclairée et sous une sorte de tente transparente avec plusieurs fils accrochés à ma tête, ma poitrine et sur le bras gauche. Mes yeux pouvaient regarder, mais je ne pouvais pas articuler un seul mot. Mais j’entendais. Une sorte de mur s’était dressée entre moi et le monde des infirmières, médecins et internes qui s’affairaient autour de mon corps mourant. J'essayais de m'assurer que j'étais encore entier. Mais je ne sentais même plus mes jambes. Alors par répit, je m’ouvris à ce silence intérieur, soutenu par mon état de conscience demeuré, par miracle, encore intact. Je me plongeais ainsi tout entier dans le parcours de mes souvenirs.
Le médecin chef, je pense, le Docteur Van Den Brooke, arriva peu après mon réveil, averti sans doute par l’infirmière qui a assisté en direct à ce que je nommerai ma résurrection.
L'on me conta l’épilogue de cet accident que j'eus et ce pourquoi j'ai été emmené en urgence ici par le SMUR. Du chauffard consciencieux qui n’avait pas pris la fuite et qui s’était débattu pour me faire évacuer dans cet hôpital. Même qu’il appelait chaque jour depuis une semaine déjà pour prendre de mes nouvelles. Quel homme bienveillant.
J’appris ainsi chaque jour à me servir d'avantage de mes seuls yeux et lèvres pour répondre aux questions que l'on me posait et signaler les malaises et douleurs intermittents qui parcouraient mon grand corps à peine animé.
Le temps s’écoula ainsi, bon gré mal gré, pendant, je ne sais combien d'heures et de jours, où je vis défiler toute ma vie passée. Que de souvenirs agréables quoique brefs et vite éclipsés par une impitoyable succession de passages douloureux à vous fendre le cœur même longtemps après avoir vécu de tels souvenirs.
Puis, au détour d'un de ces instants, quel jour je ne sais et, sans m’en rendre totalement compte, je réalisais que, lentement, je quittais mon corps meurtri de douleurs. Est-ce une simple sensation, je ne sais mais, assurément, j'étais en train de regarder toute cette salle avec moi couché dans le lit et, à côté, de drôles de machines qui émettaient un son aigu et continu. Les infirmières arrivèrent précipitamment suivies de peu par le médecin. Après avoir ausculté rapidement mon corps, il donna quelques ordres à ses assistantes. On lui apporta un appareil, il prit les deux embouts ressemblant d'à peu près à un mini fer à repasser puis les appuya de toutes ses forces sur ma poitrine. Il refit plusieurs fois de suite cette manœuvre. Plusieurs spasmes s'en étaient suivis à chaque fois, mais mon corps demeurait littéralement sans vie. En sueur, il décida d'abandonner. De jeter l'éponge non sans agacements. Je suis donc mort cliniquement à ce moment-là ? Oui ce 17 novembre 1998 tu n’es plus après une semaine de coma ; tu es mort. Mort de chez les morts, mais pourtant avec une sorte de nouvelle existence toujours semblable à moi par certains côtés mais qui lui a miraculeusement survécu au corps resté inanimé sur le lit. J'assiste donc, étonné et impassible, à tout ce qui se passe autour de mon autre vrai corps désormais sans vie pour toujours mais seulement d’une autre façon d’exister. Cette soudaine conscience que j'eus d'être devenu autre mais toujours encore en vie m'effraya. Serait-cela l'état d'esprit, du non visible par les vivants? Incroyable ! Je suis encore là dans cette salle mais aucun de ceux qui s'y trouvent ne le réalisent. Je les entends et eux ne se doutent de rien. J'essayais de les toucher et de les parler sans recueillir la moindre réaction de leur part. Deux mondes parallèles et distincts en quelque sorte et dans l’ici-bas.
Soudain, le souvenir de mon fidèle compagnon me vint. Raku, mon Raku, où es-tu donc passé, qu'a-t-on fait de toi, serais-tu retourné à la gare auprès des nôtres, hein mon petit, manifestes-toi, je t'en supplie. Un petit aboiement, juste pour me rassurer, pour me dire ce que tu es devenu et où tu trouves. Une brise glaciale de désolation chargée de remords parcourait ma pensée. Raku aurait-il laissé la vie, lui aussi, dans cet accident, mais alors pourquoi n'est-il pas ici à mes côtés ? Oui au moins sous la nouvelle nature d’exister comme moi. Pourquoi cette différence ?!
Frustré de tout voir et de ne pouvoir rien faire, je revu, comme sur un écran géant toutes les scènes qui suivirent après cet accident. Du moment de mon enlèvement par les services ambulanciers jusqu'au dépôt de mon corps à la morgue de l'hôpital Saint-Pierre. J'ai pu ainsi tout revoir et tout voir sans être vu. Je suis devenu, comble d'ironie, le témoin invisible des préparatifs de mes propres funérailles. Le plus étonnant, mais aussi le plus bouleversant est de se retrouver seul sans de nouveaux semblables ni sans personne d’autre !
Mon Dieu, mon Dieu, me dis-je sous mon nouvel habillage sans corps, comment cela peut-il être possible? J’allais et venais à ma guise, dévisageant les visages de mes anciens semblables, traversant comme par magie les portes et les murs. Exactement comme dans certains de ces extraordinaires films et romans demeurés cultes que l'imagination religieuse débordante de ses réalisateurs et auteurs avaient su nous offrir dans d'ailleurs différentes mises en scènes et œuvres littéraires. Comme les héros de ces productions, je pouvais parler, crier, chanter et hurler sans que l'on ne m'entende et sans même attirer la moindre attention des vivants, ni même qu'ils éprouvent quelques soupçons et frissons, cette chair de poule qui vous prend et vous cloue de frayeur au contact de quelque chose d'immatériel. Rien de tout cela. Au fait, comment ces réalisateurs et autres romanciers avaient-ils pu, avant ma présente expérience, accéder à cet ordre de réalité même si cela n'est pas exactement ce que je vis et vois moi, désormais officiellement décédé à l'hôpital Saint-Pierre, au services des urgences et soins intensifs, ce 17 novembre 1998 à Midi, juste avant l’hiver. Mais quand même, c'est étonnant le côté vraisemblable de leurs descriptions d'autant plus qu'il n'y a pas de billet aller-retour pour venir d’où je suis maintenant pour au moins rendre témoignage comme on dit. Je vous le dis, moi qu'y est maintenant, je ne comprends pas. Ah qu'il subsiste encore des choses qui ne me sont pas expliquées, même ici, à ce stade-ci de la vie immatérielle. Je ne le comprends pas. Moi par contre, j'entendais tout ce qui se disait et se tramait autour de moi. J’étais tout aussi vivant comme ceux que je côtoyais à la différence que nous ne pouvions rien nous communiquer, ni même nous toucher. Oui, comme dans une sorte de semi rêve éveillé ou quoi, je ne sais pas et je n'en reviens pas. C'est vraiment incroyable ce qui m'arrivait là; resterai-je comme cela tout le temps, je ne le sais même pas; est-ce cela le paradis, mais où sont donc passés ceux venus avant moi ? Une suite ininterrompue de questions inonda mon esprit sans que mon nouvel être ne puisse m'apporter la moindre réponse. Je suis curieusement et étonnamment seul. Seul sans un autre que moi devenu mais avec tous mes souvenirs, tous ceux de ma vie vécue sur terre. Sans mes nombreux parents et amis partis avant moi. Oui, seul, sans même Raku, mon plus fidèle compagnon, mon enfant chéri; mais pourtant avec toujours le monde d'ici-bas que je viens de quitter en cette matinée hivernale de novembre.
Pourquoi a-t-il fallu que ce chauffard vint suspendre ainsi ma vie, lui que jamais je n'avais connu, pourquoi, pourquoi, je vous le demande. Est-ce cela le destin, mon destin et une partie du sien, désormais liés à jamais. Oui de toute éternité. Mais qu'est-ce cette éternité que je ne peux appréhender même dans ma nouvelle nature ? Au-dessus de ma tête, lorsque je lève le regard, il n'y a rien d'autre que cette sorte de nuée aveuglante, telle une chape de fumée épaisse et fluorescente qui limite mon regard et l'empêche d'aller quêter au-delà. Se dissipera-t-elle seulement au moins, un autre de ces moments, quand, je ne le sais pas. Où dormirai-je si d'aventure dans cette nouvelle nature le sommeil venait à me gagner. Ah tel un nouveau-né, mon nouveau monde m'est tout à fait inconnu. Sans une mère pour me prendre dans ses bras et dissiper mes angoisses devant cet inconnu opaque et insondable. Sans un père pour m'instruire. Sans un frère avec qui jouer. Sans un décor fixant les choses dans cet espace non délimité et infini me semble-t-il. Mystère de mystère conté non sans pourquoi par l'église, me voici au seuil des temps derniers annoncés. Ni têtes de dragons, ni même ce grand livre du jugement dernier...oh me dis-je, pas si vite toi, peut-être que cela viendra.
C’est drôle que l’un des rares moments de ma vie, de ces dix dernières années, où je me crut heureux, habité par de la joie encore à contempler la vie qui passe sous vos yeux, voilà qu’un malencontreux chauffard vient me faucher et m’envoyer directement et simplement de l’autre côté de la vie. Que c’est drôle et franchement désolant de devoir à quitter la vie par un si bel après midi, par un seul de ces jours de bonheur naissant à nouveau en moi. Ce qu’il faudrait aussi entendre c’est que du bas où j’étais tombé, dans la clochardise sans domicile et sans emploi, je ne pouvais pas penser en termes de semaines. Au plus c’est sur trois jours mes programmations et préconisations. Alors penser des jours et des semaines à ce projet de venir à Bruxelles et surtout de l’avoir réaliser est pour moi quelque chose d’énorme. Quelque chose que de là où je viens ce n’est même plus possible, tant les instants du quotidien vous prend la tête dès le réveil jusqu’au soir venu, encore que…Il y aura certainement quelqu’un de ces dizaines de lecteurs espérés qui comprendra ce que je viens d’évoquer là.
Les infirmières s'occupèrent donc malgré mes rêveries, d'ôter de mon corps encore chaud tous les branchements et pansements. L'on fit un brin de toilette expéditif à ce grand corps de 1, 86 m dépourvu de vie. Quel gros entre jambes j’avais ? Quelle gachie ! On le recouvra entièrement du traditionnel drap blanc et le placèrent sur un chariot, direction la Morgue de l'hôpital Saint-Pierre, située juste dans l’arrière-cour de ce bâtiment. Un homme fut chargé de cette besogne. Je le suivi jusqu'au dépôt de mon corps dans l'un des tiroirs de cette grande salle mortuaire numéroté 2011. Point final, me dis-je. Je n'existe plus pour le commun des mortels, surtout chez ceux d'esprit cartésien entêté. Ah ya Honoré, te voici rayé, gommé, effacé de la liste démographique des vivants.1 Esili2, c’est fini. Point final après plus de 5.000 Km parcourus pour arriver ici, sans compter tous les sacrifices consentis pour réunir l’argent du voyage et près de dix ans passés à essayer, malgré tout, de se construire une dignité visible ! Quel terrible destin que d’avoir à mourir sans s’y attendre et être enterré avec des inconnus dans les entrailles d’une terre dont nul ne peut dire si elle m’acceptera, me tolérera ou me rejettera comme on me l’a si longtemps fait à sa surface !? Tout cela dans des pays au-dessus de tout soupçon en matière de proclamation et de défense des droits de l’homme, un et pluriel ; d’où qu’il soit et quel qu’il soit d’ailleurs. Incroyable ! Où est donc passée cette Europe tant rêvée et fantasmée par des générations de jeunes africains ? Où est-elle passée, cette France des poètes, des philosophes, celle des sept sœurs, celle du Philosophe inconnu, celle de Rimbaud, Voltaire, où s’est-elle éclipsée m’abandonnant à mes tristes sorts, à un destin qui ne pouvait pas être le mien parce que Estranger, estranger dis-je, innocent estranger qui n’apporta pas grand-chose à toi France, si ce n’est qu’il l’aima vraiment avec piété. Ah Ngoy-Ngala ! L’estranger est celui qui seul peut décrire la façade de la maison du natif, de son visage, holà ! Comment peut-on résister au bonheur de découverte que nous propose le nouveau venu d’ailleurs ? Comment est-possible en ce 21e siècle finissant ?
Roman
De Dieudonné L. NAIRE
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editionaire@yahoo.fr
SORTIE 07/12
[1] En langue Lari (Groupe Bakongo du Congo), ce mot magique désigne et condense en lui la France et son mythique Paris tant rêvé par le sapeur en puissance qui n’aspire qu’à s’y rendre, au moins, avant de mourir.
- 1. 1e mot « Ya », très usité dans ce texte, marque, lorsqu’il est placé devant un nom, une déférence à l’égard de la personne désignée comme « aîné », « grand frère ». « Kulutu » ou encore « Yaya ». Les épouses au Congo appellent couramment leur époux par « Ya»…pour marquer le respect qu’elles le nourrissent.
- 2. En lingala : c’est fini.