Extraits roman Grand frère: Partie 1, chapitre 2
Grand frère: Chapitre 2
II. Aux sources de la vie paysanne
Un natif de Kiloubi[1]
Les jours, les nuits, les semaines et les mois défilèrent sans grandes différences et surprennent bien souvent ses usagers qu’ils ne les rassurent. Honoré avait fini, depuis le temps qu’il est devenu brazzavillois à part entière, dix ans bientôt, par s’habituer à la monotonie de la vie dans cet univers urbain rendu si impersonnel en raison, sans doute, de sa pratique par une mosaïque de populations venant d’origines diverses. Ils sont ainsi devenus tout et rien. Ah ma N’Sona, sa maman, avait bien raison de me dire que tous les jours du monde ne se ressemblent pas. Les jours et les nuits à Mavoula ne sont pas comparables à ceux de Kiloubi, son village natal, qu’il avait fini par connaître aussi intimement que lui-même. Ils peuvent vous parler et se laisser lire par un regard exercé, tandis qu’ici, ils semblent se rétracter à toute appréhension. Ils n’ont plus d’âme. Même le rituel de leur succession infinie est comme vide de sens et sans surprises. Pour tout dire, ils dépaysent et perturbent plus qu’ils ne rassurent. L’arsenal d’indices qui, au village, lui permettait de les décoder semble inopérant ici. Ni les signes annonçant sa venue, la naissance du jour par exemple est ici confondant. Les coqs chantent à tous les moments du jour et de la nuit comme si ramenés du village comme lui, les pauvres sont perdus entre ces jours éclatant de soleil et grouillant de toutes sortes de bruits ; puis ces nuits qui n’en sont plus à certains endroits en raison de l’intense éclairage public, l’on comprend les confusions qui en résultent.
« Nos ancêtres sont venus de Kongo dya ntotila » entendit-il souvent dire son père Ta Nganga et surtout son grand père Antoine lorsqu’ils se surprenaient à parler des origines des différentes ethnies qui s’échelonnent du Pool à la côte atlantique du Congo lorsqu’on les interroge en général sur d’où viennent-ils[2].
« Partis de Kongo dya ntotila, ils (les ancêtres) progressèrent par groupes apparentés (Kanda ou clan) jusqu’après la traversée du fleuve Congo. Les chefs de clans, Mfumu za ma Kanda, conduisaient aux côtés des devins protecteurs, les Nganga, cette marche qui dura plusieurs lunes. C’est alors qu’ils parvinrent devant un énorme gouffre, le Benga, dont on ne pouvait à peine distinguer le fond, tant il était profond et dégageait une vapeur grise et enfumant. Les Mfumu za ma Kanda consultèrent alors leurs devins qui procédèrent à une série d’incantations. Après quoi il fut révélé qu’au fond de ce gouffre se trouverait un canari (Tchinzu) contenant des pouvoirs magiques (Pandu) dont il faudra absolument s’emparer avant de franchir cet obstacle. Pour ce faire, chacun des clans devra mettre à l’épreuve ses fils aînés (Bala ba N’tété) afin qu’ils tentent à tour de rôle de rapporter ce canari en descendant au fond de ce précipice. Après de vaines tentatives effectuées par les premiers, le fils aîné d’un des clans réussit à le ressortir. On le nomma « Hangala » et devint le chef, le Mfumu, des groupes rangés derrière lui. Son cadet, le Mpangui, fut nommé « Nsundi » et prit la « tête » des groupes restants. A partir de ce moment-là, les deux groupes se séparèrent. Et depuis, en référence aux noms attribués dans cet extraordinaire récit fondateur, ils se distinguèrent par « Ba Nsundi » et « Ba Hangala » pour indiquer le groupe auquel ils appartiennent désormais ».
Cette idée de provenance et surtout de migrations successives lui apportait fierté et assurance. Aucun peuple n’est resté au même endroit depuis l’apparition de la vie sur terre sinon elle ne se serait pas autant répandue sur toute la surface de la terre. Si Lucky, Abdel ou Toumaï, nos supposés ancêtres communs, réels ou imaginaires, s’étaient contentés avec leurs communautés de demeurer au même endroit, repliés sur eux-mêmes, notre Humanité n’aurait pas connu ce merveilleux développement dont nous en sommes issus.
Honoré aimait entendre le soir venu, son grand père lui conter les fragments de ces morceaux d’histoires ou d’architectures devrait-il dire conservées dans les souvenirs des vieux, Ba Buta. Le Muntu kongo est un migrant né, comme tous les peuples de la terre, cherchant et prospectant les horizons les mieux adaptés à son épanouissement. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’à Pointe-Noire on le désigne par « Elf recherche ». Tout cela lui paraissait assez confus si ce n’est qu’il apprit aussi que c’est chez ces peuples Kongo que l’opposition à la situation coloniale fut l’une des plus virulentes de la sous-région. Des noms résonnent encore dans ses
souvenirs : Tchimpa Vita, Matsua André Grenar[3], etc.
Comme la plupart des gamins de mon village, je fis mes premières scolarités à Kiloubi où nous y avions une école primaire comprenant six niveaux allant du CP1 au CM2. Nous y apprenions, non sans réel bonheur et enthousiasme, la langue française, celle du blanc, celle du français avec tout le rêve auquel celle-ci nous ouvrait. Être instruit était devenu plus qu’obsessionnel. L’objectif majeur à atteindre. La récompense que tout enfant, surtout garçon de son père, se doit de rapporter à ses parents. A cette époque tous ceux qui avaient accompli correctement leurs études étaient assurés d’échapper au destin ordinaire de paysan qu’ont connu nos pères et mères. Ils pouvaient prétendre à une activité salariée et moderne, notamment dans la fonction publique. L’école avait ainsi cette magie de nous faire rêver d’autres choses et d’autres lieux que nos environnements habituels. Nombreux sont nos parents qui l’avaient compris et mirent beaucoup d’entrain à nous y pousser chaque jour. Le top des top c’était de terminer ses études primaires avec l’honorable Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires (CEPE), puis aller au collège à Mindouli, notre chef-lieu de Préfecture le plus proche et, et au Lycée et à l’Université à Brazzaville Mavoula. Et pourquoi pas avec une Licence, obtenir une bourse d’études pour la France et en revenir avec un diplôme de haut niveau pour se faire nommer DG d’une des grosses sociétés mixtes de l’Etat. Halalalala, ce rêve là nous le partagions tous. La France n’était pas seulement un rêve de gosse, mais l’une des conditions d’émancipation de soi et de notre pays le Congo et pourquoi pas de toute l’Afrique. Entre nos multiples langues locales et l’appropriation de la langue française comme moyen de communiquer entre nous, le choix était tout sauf cornélien, il est celui de notre demain, celui aussi de ma jeunesse et de toutes celles qui suivront.
Quelle magie que cette langue faite d’assemblage ordonné de lettres, de mots et de phrases d’origines diverses qui vous font redécouvrir en couleur votre propre univers ! Les séances de lectures à haute voix ou celle plus théâtrale des récitations mimées, mobilisaient nos enthousiasmes et électrisaient nos émotions à partir du CE2. Le bonheur des énoncés articulés était magique. Une profonde familiarité s’installait progressivement au cours de ma scolarité avec cette lange venue pourtant d’ailleurs ; de ces contrées si lointaines des nôtres mais combien ouvertes à nos émotions et à ses rythmes de construction. Léopold, oui, on lui en avait parlé, ce grammairien venu du Sénégal, de chez les Sérers, qui fit battre cette langue d’émotions nègre. Et son autre compagnon, Aimé Césaire venu des Îles et qui brilla avec « Le cahier d’un retour au pays natal » ; puis d’autres et d’autres encore, jusqu’à l’émergence d’une critique venant des nègres eux-mêmes, marxistes d’obédience…Oui, puis la traversée d’un désert d’écriture qui ne pu trouver mieux que reprendre aux aînés ce qu’ils les avaient reproché sans ressentir la moindre gêne. C’est désormais cela cette écriture nègre sans nègre déclaré. Une francophonie vidée d’une de ses couleurs fondatrices, l’écriture nègre.
De Kiloubi à Mindouli pour le collège, nombreux sont ceux de mon âge qui affectionnaient lire tout ce qui leur tombait sous les yeux. Cet enthousiasme s’étendit aussi aux jeunes filles de ma génération. Pouvoir tout dire en français prouvait au moins que l’on allait à l’école, mais surtout que l’on prenait au sérieux ce qu’on apprenait à l’école.
Grâce aux différents cours auxquels nous participions avec joie, nous découvrions au fil des sujets abordés notre région, notre pays, l’Afrique et le monde. Le monde apparaissait beaucoup plus large que jamais nous l’aurions imaginé auparavant. Il y avait aussi l’autre versant de ces connaissances que nous accumulions, celle de la difficulté de comprendre notre propre univers socio culturel avec la logique inhérente à ces nouveaux savoirs. Les récits et mythes fondateurs de notre société, son arsenal symbolique et magico religieux, ses croyances, ses peurs, ses angoisses, ses logiques, ses structures sociales, toutes ces sortes de choses reçues de nos parents et qui se retrouvaient soudainement remisent en questions.
Le sacré et toutes les pratiques qui y renvoyaient ne cessaient de nous rappeler que nos aînés avaient compris la nécessité de demeurer envers et contre tout fidèles à leurs certitudes même vieillies. Nous nous amusions à les mettre en confrontation avec ce que nous apprenions quelquefois à l’école. Nous passions, et à l’occasion, en revue certains de nos savoirs locaux ne reposant que sur un imaginaire sans fondements. Nos certitudes juvéniles en affirmation se balançaient entre les deux univers : celui de la modernité occidentale qui ne croit qu’en ce qu’il peut vérifier, le fameux « contingent » d’Hegel, le réel objectif et, celui du Muntu, plus anthropologique, admettant par cela même que le visible et l’invisible sont intimement liés. En somme celui auquel nous ouvrait notre nouvelle langue et son imaginaire et celui qui nous constitue profondément, comme être d’ici avec toutes ses doublures de sens et d’imaginaire remontant à la nuit des temps. Les fétiches, la sorcellerie, l’envoutement, les maléfices, les Mânes des ancêtres encore actifs dans notre vie présente et nos esprits proches, tous ces ordres de choses et de réalité ordinaire nous restaient pourtant familiers mais n’avaient plus toujours la prééminence dans nos têtes. Notre métissage était engagé avec la fréquentation de l’école du blanc. Nous devenions sans vivre en Europe des africains blancs ; des nègres français. Comment oser se détourner des choses qui toujours ont structuré nos sociétés de la tradition sans se voir réprimer par nos mères ?! Nos êtres se métissaient sans que nous y prenions garde quant à l’ampleur et la profondeur de son action.
En classe de quatrième et surtout en troisième, les choses commençaient à se gâter pour Honoré. Ses notes déclinaient irrémédiablement et son enthousiasme pour l’école s’émoussait progressivement.
Entre les week end où il doit retourner au village pour s’approvisionner en vivres et en argent et, le temps et les attentions nécessaires à consacrer à la révision de ses cours pour passer le brevet d’études moyennes générales, le BEMG, équivalent du BEPC français, Honoré semblait en avoir marre. Les rappels à l’ordre de ses oncles et de son père n’y firent rien.
Honoré se sentait fini et pas du tout assez intelligent pour relever ce défit. Les leçons s’accumulaient plus vite que son rythme de révision. Le travail de rattrapage à accomplir pour se mettre à jour devenait si fastidieux que la seule solution était l’abandon, la démission courageuse. Mais que fera-t-il après, comment le fera-t-il admettre par son père au moins et ensuite à sa sœur qui avait fondé en lui bien des espoirs ?! Heureusement que la découverte de Brazzaville à l’occasion des vacances scolaires chez sa sœur aînée lui ouvrit à d’autres envies, d’autres projets. Il découvrit que l’école n’était pas et même plus la seule voie pour échapper au destin paysan de ses parents. L’échec au brevet vint mettre un terme aux ambitions de réussite par les succès scolaires.
Honoré se décida de rentré à Kiloubi même s’il devra affronter la honte de son père face aux autres pères dont les enfants avaient réussi. Dix et sept ans lui paraissaient de trop pour poursuivre encore des études dans un établissement de province qu’il ne souhaite plus jamais revoir. Brazzaville et ses multiples attraits exerçaient sur Honoré une profonde attraction dès les vacances de l’été 1985. Il y entrevoyait l’une des seules autres voies et occasions de rebondir autrement et ainsi redonner du bonheur d’être père à son papa. Il sentait profondément le lui devoir avant tout après tous les sacrifices que ces derniers avaient consentis pour soutenir ces études au collège de Mindouli. Sa sœur aussi avait droit à cela ainsi que sa mère et ses oncles.
« Apprendre un métier par exemple auprès d’un professionnel » par exemple et à Brazzaville pourrait bien lui plaire pensa-t-il en son for intérieur. Se sachant plus ou moins bien lire, écrire et baragouiner le français, Honoré eu confiance à cette idée. Il ne lui reste plus qu’à en parler d’abord avec sa sœur aînée de Brazzaville.
Les vacances scolaires étaient l’autre des moments de bonheur que Honoré savait partager avec ceux de son âge tant à Kiloubi qu’à Mindouli.
Entre la participation aux travaux champêtres avec son père et parfois son oncle, la mise en vente des récoltes sur les différents marchés hebdomadaires de la région jusqu’à Brazzaville, les tournois de football entre les villages et la chasse aux rats de savane, les Mbendé, Honoré débordait d’enthousiasme et de bonheur de vivre.
Mais ces dernières vacances ci, celles qui suivirent son échec au brevet étaient toute autre. Il lui fallait tacher de trouver l’argent nécessaire pour couvrir les frais de sa scolarisation dans un collège à Brazza ou ceux relatifs à sa formation auprès d’un professionnel en mécanique automobile. C’était son choix après mûres réflexion. Il pu en parler de façon lapidaire avec son oncle maternel Ma Malandila[4] qui semble favorable à un tel projet. L’oncle Malandila lui proposa de conduire seul le champ de manioc ouvert par lui de façon à accroître ses quantités à récolter. Honoré se creva à la tâche sans pourtant s’empêcher de se rendre compte de la terrible misère de la paysannerie en rapport avec les conditions de travail d’une part et d’autre part des prix de ventes des produits agricoles. Le paysan des villages du Pool congolais non seulement qu’il était livré à lui-même et sans protection face au marché, au commerçants venant de Brazzaville et les transporteurs mais que de plus les terres fertiles proches se raréfiaient avec la réduction des temps de jachère. Par ailleurs, il n’avait pas prise sur la fixation des prix de ventes de sa production. Honoré et ses camarades se décidèrent d’aller vendre eux-mêmes leurs productions sur les marchés de la capitale. Ce qui leurs ramèneraient un peu plus d’argent. Sa sœur lui ouvrirait grandement sa porte se dit il avec conviction. Il reviendrait ainsi de temps à temps au village au cours de l’année pour veiller sur ses champs de forêt surtout où les bonnes récoltes sont encore demeurées importantes contrairement aux champs de savane[5]. Il essayera de comprendre et d’identifier les bonnes périodes de production pour mieux vendre sur les marchés de Brazzaville. Oui un jeune producteur moderne en somme. On verra ce que l’on verra, Honoré avait son idée sur la façon la mieux appropriée pour se faire un peu plus d’argent avec le travail paysan. Dans ses plantations Honoré pratiqua comme cela se fait couramment chez les paysans d’ici, la polyculture. La culture du manioc était associée à différents légumes. Honoré les choisi en fonction de la demande que ceux-ci génèrent. Tubercules de manioc pour préparer des chicouangue, sorte de pain de manioc emballé de feuilles sauvages et vendus après une longue cuisson ; du piment, des tomates fraîches et quelques légumes feuilles les plus appréciés par les ressortissants du Pool résidant à Brazzaville constituaient les produits qu’Honoré amenait sur les marchés de la capitale.
La maman d’Honoré se mit elle aussi au travail pour encourager son fils. C’est elle qui se chargea de la préparation des chicouangue avec les tubercules récoltés dans les champs du fils. Son père ne demeura pas indifférent. Il lui offrit de récolter ses tomates et maïs dans un de ses champs de savane. Sa sœur fit savoir qu’elle a apprêté une chambre pour recevoir Honoré pendant ses séjours à Brazzaville. Honoré se sentait devenir un autre jeune homme à l’approche de ses dix et huit ans. Au coucher, il se surprenait à recompter l’argent de ses ventes qu’il confiait systématiquement et entièrement à sa mère. Brazzaville enflamma progressivement son imaginaire. Le projet de s’y établir définitivement l’emplissait de bonheur. Le sentiment d’un avenir bouché après l’échec au brevet s’était envolé. Il avait de plus en plus confiance en lui. Il se savait capable de se battre de mettre toute son énergie sur la balance pour arracher, le faut-il, une réussite sociale dans cette ville. Car en effet, voir et mieux vivre dans la capitale était déjà en soi un des premiers signes de promotion sociale pour les jeunes ruraux que nous étions. Ses salles de cinémas, ses multiples grandes avenues grouillant de voitures de toutes marques et étonnamment éclairées les nuits ; ses nombreuses et diverses boutiques de modes courant le long de ses artères les plus fréquentées ; et enfin, ses marchés, toujours noirs de monde, étaient, ici et là, les nouveautés de cette urbanité en construction qui enflammaient tendrement l’imaginaire d’Honoré.
L’autre de ses étonnements était la place d’honneur que les milieux paysans accordaient avec bienveillance aux gens de la ville, aux urbains de longue date, surtout ceux dont on sait qu’ils exercent un bon métier et gagnent largement bien leurs vies. La déférence qui leur était alors accordait même de la part des personnes âgées montraient toute la puissance de la modernité face à des traditions qui acceptent de s’effacer ou d’intégrer à ses dispositifs cette nouvelle norme. On voit là toute la puissance transformatrice des sociétés urbaines de l’Afrique noire avec le pouvoir de l’argent et des productions de la modernité sur leur environnement rural. Tout cela paraissait trop grand à Honoré pour qu’il parvienne à en démêler tous les enchevêtrements. Autre étonnement enfin, est ce fait courant qu’ont les gens de la ville de faire semblant d’avoir tout oublié de nos traditions. Il fallait tout leur expliquer à chaque fois. Même prendre de l’eau dans un puis grâce à une corde et un seau attachée à l’autre bout. La ville et ses pratiques ont effacées leurs souvenirs de villageois. Ils étaient devenus au fil des ans autres que nous restés au village. Plus proches du blanc représenté que de nous avec nos façons d’être, les urbains, certains du moins n’hésitaient pas à nous critiquer dans nos manières de vivres.
Il faut enfin dire qu’ils savaient être chiants pour de petits détails. Nous étions écolo pour nos toilettes, car la nature nous était largement disponible. Il suffit pour cela de s’éloigner un du village. Avec eux il a fallu faire construire des WC à la turque. Et pour manger, ils ne ménageaient pas leurs caprices. Il fallait que chacun dispose de sa propre assiette pour la sauce alors que nous avions pour habitude d’utiliser une seule assiette par groupe de mangeurs : enfants, adultes et personnes âgées. L’esprit de partage qu’insufflaient nos façons de faire s’est envolé pour l’individualisation jusque dans la manière de prendre nos repas.
Pourtant ces gros braves urbains étaient aussi peureux qu’un tout petit enfant. La nuit noire de nos villages les terrifiaient. Surtout lorsqu’il fallait de nuit les accompagner au petit coin, au moindre bruissement des herbes, ils accourraient se blottir contre vous, manquant de vous précipiter par terre.
Cette chaîne de souvenirs effleuraient non sans tendresse les pensées d’Honoré, lui qui pour rien au monde n’aurait quitté son village natal pour s’élancer dans cette folle aventure inspirée par le parisianisme conquérant.
Après trois années d’allers et venues entre Brazzaville et le village, Honoré décida après l’approbation de son oncle maternel, de sa sœur aînée, Péla et, de son père en dernier[6], de s’installer de façon plus permanente dans la capitale Mavoula.
[1] L’arrière pays rural de Mindouli dans le Pool congolais a fait l’objet pendant de nombreuses années d’un projet dénommé « Village centre » visant à revitaliser les activités agricoles en milieu rural de façons à contenir l’attrait de la ville pour les paysans. L’exode rural avait abouti à une véritable désertification des campagnes congolaises soumettant tout le pays à une progressive dépendance alimentaire vis-à-vis de ses voisins dont la RDC.
[2] Les populations Bakongo, répandues dans tout le sud du Congo aussi proviendraient de l’éclatement du Royaume Kongo, nom signifiant « pays de la panthère », qui a existé entre 1482 et 1665 englobant l’Angola, le sud de la République Démocratique du Congo et de celui aussi du Congo. De nombreuses recherches effectués par le CICIBA, centre de recherche dédié aux peuples Bantous.
[3] Matsua André Grenar, agent des douanes de l’administration coloniale et arborant le numéro de matricule « 22 » a inspiré après sa disparition une religion syncrétique : Le Mastuanisme est très répandu chez ressortissants Kongo du Pool congolais.
[4] Dans les régimes de parenté matrilinéaire où la parenté se transmet par les femmes, les frères d’une mère sont aussi désigner comme mère, « Ma ».
[5] Il existe deux types de champs : champs de savane et champs de forêt dans l’environnement des paysans du Pool congolais.
[6] Dans le régime de type matrilinéaire, l’avis de l’oncle maternel prime sur celui du père.